Il est d’actualité de parler de l’impact des émotions des propriétaires de chiens sur le comportement de ces derniers. Je discute aussi beaucoup de ce sujet, car il est important. Cependant, comme tout sujet, il peut parfois comprendre des travers de compréhension, il est donc important de ne pas se méprendre.
Je m’explique :
J’ai peur de l’avion. Je ne suis pas à l’aise dans ces boîtes volantes mais le but de mon voyage étant important, la motivation est assez grande pour me faire monter dans ce morceau de métal et attendre gentiment que l’atterrissage se produise. J’ai pris une fois un vol en compagnie d’une collègue. Lors du vol, nous avons entendu des bruits étranges. La voyant paniquer, elle qui est habituellement très calme en avion, cela a initié en moi une crise de panique, car je ne pouvais plus contenir ma peur, et j’ai bien mis 20 minutes à faire comprendre à mon système sympathique qu’il pouvait se calmer, et qu’il pouvait laisser son pote le para sympathique reprendre le dessus (système nerveux autonome), c’est à dire revenir à un état de calme (calme comme je peux l’être en avion…).
Je vous donne cet exemple car :
A la base je ne suis pas rassurée en avion. Donc si quelqu’un à coté de moi stress, j’ai deux possibilités :
-soit je prend mon courage à deux mains et tente de passer au dessus de ma peur pour la rassurer
-soit je panique joyeusement avec elle….
En fait, le stress de ma collègue a amplifié ma peur. Ce n’est pas elle qui a instauré ma peur de l’avion. La peur était déjà présente. Cependant, elle a appuyé sur le bouton « alerte maximal » en me contaminant avec sa peur.
Voyez-vous désormais où je veux en venir ?
Allons voir de plus près tout cela et faisons un petit tour dans le vaste monde de l’olfaction.
Il est établi que les humains peuvent communiquer leur émotion via des substances que l’on qualifie de sémio-chimique ou encore des ectomones. Ce sont des molécules émises par un organisme dans l’environnement et qui représente un signal pour l’environnement. Les ectomones qui permettent une communication au sein d’une même espèce (intra-spécifique) sont appelées phéromones, tandis que lorsque cela concerne des espèces différentes (interspécifiques), on va parler d’allélomones. Ces phéromones sont produites par les glandes dites exocrines (glande qui émettent dans l’environnement, comme les glandes sébacées au niveau de la peau par exemple) ou sécrétées avec l’urine. Ainsi, concernant les humains, les phéromones émises peuvent être détectée par le système olfactif humain, et ainsi donner des renseignements sur l’état de nos congénères. Cependant qu’en est-il pour nos chers toutous, nos phéromones seraient-elles allélomones ? Eh bien, la science répond qu’en effet, nous communiquons de manière olfactive nos émotions à nos toutou (et aussi aux chevaux).
Et comment a-t-on montré cela me direz-vous ?
Eh bien, c’est une équipe de chercheurs en 2018 qui a publié une étude sur l’impact des chimio-signaux humains sur le comportement de nos poilus. Enfin, pas des nôtres, mais des leurs, et plus particulièrement des Golden retrievers et des labradors. Nous sommes (et eux aussi) d’accord que le fait de n’inclure que ces deux races est un biais expérimental, cependant, c’est un début, et cela veut aussi dire que les réponses observées selon les races pourraient être bien différentes (et très intéressantes). Je précise que les chiens qui ont participé à cette expérience sont des chiens de famille et non des chiens de laboratoire.
De plus, cette expérience, au vue des travaux récents comporte un autre biais, mais pour cela je dois d’abord vous parler du protocole.
Le protocole, le voici :
De façon simple, les chercheurs ont récupéré des extraits de secrétions axillaires (au niveau des aisselles) chez 4 individus humains mâles (voilà, vous voyez le biais, ça c’est dit).
Ces individus ont visionné du contenu vidéo dans le but de ressentir de la joie, de la peur ou rien du tout (condition contrôle).
C’est la seule phase de l’expérience où ces individus interviennent.
Les chercheurs ont donc récupéré toutes ces odeurs (joie/peur/rien) et ont conditionné ces odeurs dans des dispositifs dédiés à être sniffé de nos toutous sans contaminer l’échantillon.
Les conditions expérimentales ont été les suivantes :
La durée totale de l’expérience dure 2 minutes.
Durant ces deux minutes, le chien rentre dans une pièce où :
– son humain est assis sur une chaise à lire un magazine
– un étranger lisant aussi un magazine de l’autre côté de la pièce
– est présent le dispositif à odeur contenant :
– soit l’odeur de peur
– soit l’odeur de joie
– soit l’odeur d’une situation neutre.
Le chien porte sur lui un moniteur cardiaque dont il a été au préalable habitué au port, on va donc durant cette expérience :
– regarder les variations du rythme cardiaque
-regarder le temps d’interaction avec l’humain de référence (propriétaire) (regard,contact, prise d’odeur)
-regarder le temps d’interaction avec l’étranger (regarde le propriétaire, tentative de contact, prise d’odeur)
-regarder le temps de contact avec le dispositif à odeur
-regarder les comportements de stress (léchage de truffe, sur-locomotion, se secoue, se gratte, baille, oreilles en arrière, consommation d’eau exagérée, halète ou encore jappe).
Au total, 40 chiens ont passé ce protocole (17 mâles et 23 femelles), et ont été exposé soit à l’odeur de peur, soit de joie, soit neutre et de façon totalement aléatoire.
Les résultats ont montré que :
– le dispositif, peu importe l’odeur, occupe le même temps d’exploration chez notre cher toutou expérimentateur. Cela veut dire que le temps de prise d’odeur, et donc d’interaction avec le dispositif et l’intérêt pour le dispositif ne varie pas selon les conditions.
-Comparé à une situation neutre (odeur neutre), lorsque le chien est exposé à l’odeur de joie, il regarde/interagit moins avec son humain et va tenter d’interagir plus avec l’étranger.
-Exposé à l’odeur de peur, le chien va plutôt tenter d’interagir beaucoup plus avec son humain que l’étranger et présenter des signaux d’inconforts (comportements de stress).
-De plus, lorsque le chien est exposé à l’odeur de peur, son rythme cardiaque est bien plus perturbé que dans les autres conditions, indiquant de façon physiologique une réponse à l’émotion proposée. Les chercheurs remarquent dans leur résultat une augmentation marquée du rythme cardiaque qui perdure le long de l’expérience (2 minutes), suggérant ainsi une réponse physiologique de stress, en plus de l’observation de comportement d’inconfort. L’odeur de joie provoque aussi une augmentation du rythme cardiaque, mais qui redescend 40 secondes plus tard.
Il y a bien évidemment beaucoup plus de choses que l’on pourrait dire de cette situation néanmoins, ici, le seul facteur changeant dans les différentes expériences proposée, est l’odeur. Sachant de plus que cette odeur est celle d’un complet étranger, et non celle de l’humain de référence ou celle de l’étranger (et oui, notre toutou ne s’y trompe pas).
Cette expérience met donc en lumière la communication émotionnelle olfactive qui existe entre le chien et l’humain. Cette communication a donc un impact sur le comportement du chien. On s’en doutait, la science l’a montré.
C’est pour cela que oui, les émotions humains ont un impact sur le comportement du chien durant ses expériences en notre présence, néanmoins ne mettons pas tous les œufs dans le même panier.
Il faut être prudent dans nos interprétations et c’est le point dont je voulais parler aujourd’hui.
Plus tôt dans cet article, je vous ai parlé de ma panique en avion que je n’ai pas réussi à maîtriser. Ce n’est pas ma collègue qui a fait naître en moi la peur de l’avion, mon inconfort était déjà présent. Cependant, sa contagion émotionnelle à amplifier le stimulus de peur, a dégradé l’environnement autour de moi, et a finalement rajouté une composante qui ne m’a pas permis de gérer ma peur. Ainsi, sa peur a amplifié le stimulus. Alors que l’avion n’était clairement pas en train de se désintégrer en plein vol, sinon je ne serais pas là pour écrire cet article aujourd’hui.
Cela signifie que, dans un contexte donné, travailler sur le stress de l’humain peut être en effet un élément qui permet d’améliorer la gestion de la situation pour le chien si la situation en soit est déjà une situation stressante et difficile à gérer pour le chien. Cependant n’oublions pas qu’il faut d’abord et avant tout travailler la peur du chien. Car impliqué ou non, la réponse à la situation est là, que nous soyons présent ou non. Ce qui change par notre présence peut être l’intensité de la réponse, car votre chien fait face à un stimulus plus fort (ma collègue qui a peur rajoute un stimulus de stress dans une situation déjà stressante) si vous êtes en stress. Le chien fait face à un stimulus moins fort si vous ne l’êtes pas.
Inversement, si vous êtes plutôt joyeux, vous allez aussi influencer la réponse de votre chien, qui pourra peut-être mieux gérer une situation de stress car vous changez une composante du stimulus.
Je résume donc ce que suggèrent les résultats de cet article pour notre quotidien:
-Par votre stress/peur passive, vous ne créez pas une peur chez votre chien, vous ajoutez un stimulus dans une composante de stimuli globaux qui représente déjà une situation inconfortable pour votre chien (la peur était là avant à cause d’une expérience d’apprentissage directe ou indirecte).
-Par votre joie et votre bien être, vous pouvez améliorer les stimuli globaux d’une situation inconfortable car vous vous pouvez influencer votre chien par votre odeur.
-Cela veut aussi dire qu’un parfait inconnu (selon les chiens nous sommes d’accord) peut aussi avoir un impact dans une situation donnée, et que donc un groupe d’individus à fortiori.
-Enfin, vous restez accessoire dans la prise de décision du chien si vous restez passif. Vous n’êtes pas à l’origine du comportement en restant dans votre peur passive.
Il est donc important de vérifier nos émotions en présence de nos toutous, cependant soyons clair, cela ne veut pas dire non plus que, si vous avez peur des araignées, votre chien en aura peur aussi. Personnellement, mon toutou est le premier à venir à ma rescousse lorsque qu’une huit pattes a définitivement dépassé ma zone de confort !!!
Conseils Toutous
Sources:
Elisa Calvi et al ., The scent of emotions: A systematic review of human intra-and interspecific chemical communication of emotions, Brain and Behavior 2020
Biagio D’Aniello et al., Interspecies transmission of emotional information via chemosignals: from humans to dogs (Canis lupus familiaris) Animal Cognition 2017
Physiologie animale, Raymond Gilles édition de boeck