La compréhension de la domestication fait l’objet de nombreuses études, et notamment sur nos amis poilus. Aujourd’hui, la science a montré que la famille des canidés comprend 34 espèces qui ont divergé sur 10 millions d’années. Et ce sont les loups qui, au niveau du génome (ensembles des gènes de l’espèce) sont les plus proches des chiens que nous connaissons actuellement. Ce fait établit, il valide l’hypothèse que le chien vient du loup.
La compréhension de la domestication des loups et l’obtention des chiens d’aujourd’hui posent donc de nombreuses questions. Car la différence génétique est assez faible finalement, quand on sait que le chien (standard) et le loup n’ont que 0,04 % de gènes divergents et 0,21 % de différences sur des séquences ADN ne correspondant pas à des gènes. Pour les chercheurs, cette divergence génétique est donc loin d’être suffisante pour expliquer la domestication et les nombreuses races que l’on rencontre aujourd’hui chez le chien domestique. Ils se sont alors intéressés aux modifications que l’on appelle épigénétiques.
L’épigénétique ? C’est quoi ?
De façon simplifiée, l’épigénétique, ce sont des modifications d’expression d’un gène sans changer sa structure. Je m’explique :
Nous avons tous des gènes, fait à base d’ADN (acide désoxyribonucléique). Ces gènes constituent ensemble le génome d’une espèce, soit le livre de fabrication d’un individu, quel qu’il soit.
Dans ce livre, il y a donc des pages et des pages de recettes diverses et variées. On va dire que chaque recette est un gène, et cette recette aboutit par exemple à la production d’une protéine.
On peut voir l’épigénétique comme un petit post-it que l’on rajoute à la recette ou que l’on enlève des ingrédients pour en faire des variantes.
Prenons l’exemple d’un gène qui serait la recette du poulet au curry:
Vous faites du poulet au curry. Il y a du poulet et du curry. Et ce poulet au curry suit une méthode simple de préparation :
_découper du filet de poulet en aiguillette
_les mélanger avec un peu d’huile olive et de curry
_faire chauffer votre poêle
_ajouter un oignon émincé avec un peu d’huile d’olive
_laisser fondre les oignons
_ajouter des petits morceaux de poivrons en petit cube
_déposer le mélange poulet curry.
_cuire 4 minutes de chaque coté.
_ajouter une cuillère de crème entière
_Servir
Voilà la recette de base. L’expression de votre gène de façon classique. Maintenant, voici ce que peut faire l’épigénétique :
Version « J’aime pas les légumes »
_découper du filet de poulet en aiguillette
_les mélanger avec un peu d’huile olive et de curry
_faire chauffer votre poêle
_ajouter un oignon émincé avec un peu d’huile d’olive
_laisser fondre les oignons
_ajouter des petits morceaux de poivrons en petit cube
_déposer le mélange poulet curry.
_cuire 4 minutes de chaque coté.
_ajouter une cuillère de crème entière
_Servir
ou encore
Version « Normand (XD) »
_découper du filet de poulet en aiguillette
_les mélanger avec un peu d’huile olive et de curry
_faire chauffer votre poêle
_ajouter un oignon émincé avec un peu d’huile d’olive
_laisser fondre les oignons
_ajouter des petits morceaux de poivrons en petit cube
_déposer le mélange poulet curry.
_cuire 4 minutes de chaque coté.
_ajouter une cuillère de crème entière
_Servir
Version : ‘j’aime que le poulet’
_découper du filet de poulet en aiguillette
_les mélanger avec un peu d’huile olive et de curry
_faire chauffer votre poêle
_ajouter un oignon émincé avec un peu d’huile d’olive
_laisser fondre les oignons
_ajouter des petits morceaux de poivrons en petit cube
_déposer le mélange poulet curry.
_cuire 4 minutes de chaque coté.
_ajouter une cuillère de crème entière
_Servir
A partir de la même recette, on peut obtenir un résultat totalement différent, alors que pourtant, on part bien de la même page du livre. C’est cela le pouvoir de l’épigénétique. (attention le mécanisme décrit ressemble fortement à ce que l’on appelle l’épissage alternatif (oulà), on peut expliquer le phénomène de l’épissage alternatif plus ou moins de la même manière. Ce qui est a retenir, c’est que la nature est bien faite, et qu’elle regorge d’astuces pour diversifier les individus).
Souvent, les modifications épigénétiques sont ce que l’on appelle des méthylations de l’ADN, c’est à dire des groupements carbonés (CH3 : 1 atome de carbone et 3 atomes d’hydrogènes), ou des modifications qui surviennent sur les protéines qui structurent l’ADN : les histones. Les histones permettent de protéger l’ADN et de l’organiser.
Je ne vais pas aller plus loin sur ce sujet, car ce dernier est très complexe, cependant, il est important de retenir que, ce n’est pas parce que l’on a un gène commun qu’on l’exprime tous de la même manière.
En effet, les modifications épigénétiques sont notamment le résultat de l’action de l’environnement sur nos cellules.
Plus intéressant encore c’est que ces modifications peuvent perdurer dans le temps et être transmises aux générations suivantes. C’est pour cela par exemple, que certains traits de caractères peuvent se transmettre.
Les méthylations de l’ADN et les modifications qui surviennent sur les histones sont les mécanismes épigénétiques les plus connus, cependant, il en existe d’autres. Ainsi, il est important de comprendre que bien que l’ADN, donc, notre livre de recette, est plus ou moins fixe dans son contenu, ses variantes sont quasi infinies !
Ainsi, le rôle de l’épigénétique dans la domestication est devenu un point crucial dans la compréhension de ce processus chez le loup. Car finalement, la majorité des différences que l’on retrouve entre les loups et nos poilus résident dans les modifications épigénétiques.
On comprend donc pourquoi ce processus est actuellement sous la loupe des chercheurs ; car il pourrait leur permettre de comprendre l’obtention de profils de chiens (phénotype) aussi différents en si peu de temps d’évolution.
A suivre…
Bibliographie
Cimarelli et al., 2017, Social Behavior of Pet Dogs Is Associated with Peripheral OXTR Methylation, Frontiers in Psychology, 58 (549)
Sundman A-S et al., (2020) DNA methylation in canine brains is related to domestication and dog-breed formation. PloS ONE 15(10): e0240787
Lindblad-Toh et al., 2005, Genome sequence, comparative analysis and haplotype structure of the domestic dog, Nature, 438 (8)