Je vais faire une petite digression à mes habitudes scientifiques pour vous emmener faire un petit tour vers un élément fondamental commun entre la science et l’éducation en renforcement positif : la réflexion et l’argumentation.
Aujourd’hui, il existe bien des courants dans les pratiques canines, et ceux qui me connaissent savent que je travaille en renforcement positif.
Cependant, je constate que la définition de cette approche est parfois nébuleuse.
Ainsi, au travers d’un petit article, né de mes pérégrinations au sein du monde canin, je vous propose d’exposer un petit morceau de ma vision de l’éducation en renforcement positif au travers d’une réflexion et d’une argumentation concernant des remarques que l’on a pu me dire à ce sujet.
Alors allons-y.
En éducation en renforcement positif, il est question d’étudier, selon l’environnement et les spécificités de l’individu, les apprentissages que l’on peut mettre en place afin d’améliorer la cohabitation humain-chien et d’installer un climat harmonieux pour ce système.
J’ai récemment eu vent de deux éléments (parmi tant d’autres) qui remettaient en cause l’éducation en renforcement positif et qui justifiaient finalement l’utilisation de méthodes par la contrainte :
Par exemple :
‘L’éducation positive, c’est bien, mais à un moment donné, il faut poser des limites’.
Ou encore :
‘Il faut bien pousser le chien à la faute pour qu’il apprenne, sinon il ne sait pas qu’il ne doit pas le faire’.
Au fond, ces remarques sont intéressantes, car elles poussent à se questionner sur la compréhension de l’éducation en renforcement positif mais aussi sur les stratégies d’apprentissage.
Au-delà des nombreuses publications scientifiques qui mettent en lumière les bénéfices d’une éducation en renforcement positif, je vous propose une petite réflexion sur ces deux propositions, afin de comprendre ce qu’est l’éducation en renforcement positif et ce qu’elle n’est pas.
Analysons donc de plus près ces deux concepts.
Déjà, prenons la question des limites.
Qu’est-ce qu’une limite ?
Définition Larousse :
1. Ligne séparant deux pays, deux territoires ou terrains contigus : Le Rhin marque la limite entre les deux pays. (clairement ce n’est pas cette définition que nous cherchons…)
[…]
4. Borne, point au-delà desquels ne peuvent aller ou s’étendre une action, une influence, un état, etc. : Il a montré ses limites dans cette affaire.
(C’est déjà mieux)
5. Degré extrême de quelque chose, seuil de ce qui est acceptable : Ce crime atteint les limites de l’horreur. (On s’en approche)
6. En apposition, indique un seuil au-delà duquel quelque chose n’appartient plus à l’ensemble donné : Date limite d’inscription. (un peu loin peut-être...)
Ainsi, dans le cadre de la question initiale, nous pouvons voir que la limite correspond finalement au seuil de ce qui est acceptable. Cela veut dire qu’au-delà, ce n’est plus acceptable.
Passons à la définition d’acceptable :
1. Qui peut être accepté, reçu, toléré, admis : Une offre acceptable. Attitude qui n’est pas acceptable.
2. Dont on peut se contenter ; juste satisfaisant : Un travail tout juste acceptable.
Donc nous sommes d’accord qu’acceptable n’a rien à voir avec quelque chose de top, de génial, de super….
Bref, maintenant que nous avons fait le tour des définitions, posons alors le cadre autour de cette question :
‘L’éducation positive, c’est bien, mais à un moment donné, il faut poser des limites’.
Cela veut dire que, en un sens, nous avons toléré un comportement par exemple, sachant que ce dernier ne nous convient pas, mais nous acceptons. Le système est donc initialement déséquilibré.
Puis, à un moment donné, nous n’avons plus la capacité d’accepter du tout, et le système est totalement déséquilibré.
Prenons un exemple :
-L’idée est ici de faire un parallèle vis à vis d’un exemple
humain et non de valider tel ou tel pratique en entreprise, ce n’est
pas le sujet, c’est ici seulement une illustration de principe.-
Vous travaillez pour une entreprise. Votre manager vous demande si vous êtes d’accord de rester quelques minutes de plus qui se transformeront en 15 minutes supplémentaires.
C’est acceptable.
Oui mais…
Votre manager vous demande votre accord de travailler plus tard à plusieurs reprises, vous acceptez à chaque fois et effectuez le travail.
Puis un jour, c’est trop et vous décidez d’en parler à votre manager car vous vivez mal cette situation depuis des mois, vous vous mettez en arrêt maladie et le pointez du doigt comme responsable.
En soit, il vous a fait travailler de plus en plus souvent et de plus en plus tard.
Il vous répondra : ‘Je vous ai demandé à chaque fois et à chaque fois, vous avez accepté’.
Pour vous, le manager a abusé de votre gentillesse et a dépassé les limites.
Pour lui, vous avez dit oui, donc c’est que vous acceptiez.
Parlons un peu du contrat :
Définition du contrat :
Convention, accord de volontés ayant pour but d’engendrer une obligation d’une ou de plusieurs personnes envers une ou plusieurs autres. (Quatre conditions sont nécessaires pour la validité du contrat : le consentement des parties, la capacité de contracter, un objet certain, une cause licite.)
Pourquoi signez-vous un contrat de travail ? Un contrat de travail défini des règles que vous acceptez et ce qui n’est pas dedans ne correspond pas à votre travail. Vous avez donc des droits (ce que l’entreprise s’engage à faire pour vous) et des devoirs (ce que vous vous engagez à faire pour l’entreprise).
S’il n’est pas écrit que vous devez faire les heures supplémentaires demandées par votre supérieur, vous n’avez pas à les accepter.
Vous pouvez donc refuser en toute sérénité, car c’est établi dans le cadre du contrat de travail.
Le manager sait que cela est dans le contrat, il s’organisera mieux la prochaine fois.
Voilà pourquoi il y a des contrats de travail et qu’il y a des syndicalistes en entreprise, mais revenons-en à nos canidés.
Maintenant que nous avons vu cet exemple, prenons le point de vue des canidés.
Si vous acceptez un comportement, votre chien l’apprend et le répète en toute confiance.
Si c’est un comportement que vous n’approuvez pas, ne le validez tout simplement pas et orientez plutôt votre toutou vers quelque chose que vous validez pour qu’il puisse avoir le moyen de vous demander les choses à sa manière.
Si votre chien produit le comportement malgré l’absence de réponse, il y a alors un tout autre message, et il est alors important d’aller explorer le pourquoi du comment.
Prenons un exemple :
Revenons à notre employé. Si ce dernier est en arrêt maladie tous les 15 jours, notre manager (s’il est bienveillant) va s’interroger et demander à l’employé en question si quelque chose ne va pas.
Si l’employé est absent tous les 15 jours car il est en maladie chronique, le manager va alors pouvoir proposer à notre employé un mi-temps thérapeutique (via la médecine du travail blablabla..).
Si l’employé est stressé par un collègue ou une surcharge de travail, alors le manager peut revisiter l’emploi du temps du dit employé ou établir une médiation entre collègue afin de solutionner le conflit.
Bref, notre manager va essayer une solution pour harmoniser le travail de son équipe.
S’il se contente de virer l’employé en question sans sommation ou de le blâmer pour qu’il se remotive, il y a de grandes chances que cela le conduise à quelques ennuis et cela risque de ne pas être constructif du tout…
Ainsi, l’objectif de l’éducation en renforcement positif, ce n’est ni mettre des limites, ni tout permettre non plus. En fait, c’est un travail en amont à effectuer qui rend ce questionnement de limite inutile.
C’est d’établir les règles de vie qui conviennent à tout le monde, aux humains et aux chiens. L’éducation en renforcement positif, c’est un contrat entre l’humain et le chien, où l’on établit des règles avec le consentement des parties (si si).
Et il n’y a rien de vraiment très sorcier dans tout cela. A vrai dire, nous faisons tous cela jour après jour dans notre quotidien, nous passons des contrats avec nous même ou membres de notre maison.
Nous savons, par exemple, que si nous voulons que notre intérieur ne soit pas pollué par des odeurs de poubelles, il faut les sortir. Nous établissons alors des règles :
-si la poubelle sent mauvais, nous la sortons.
-si la poubelle est pleine nous la sortons.
-etc
Si vous commencez à entasser des poubelles pleines ou des poubelles odorantes, vous allez arriver à un seuil de tolérance olfactif, qui, avant cela, aura déjà eu des conséquences sur votre qualité de vie.
Ainsi, il est finalement hors de propos de dire ‘à un moment, il y a des limites’, car l’accueil d’un individu dans un système établi nécessite de mettre en place des règles de vie afin de prodiguer une harmonie à ce système en respectant les besoins de chacun (humains et chien compris).
Un chien ne s’accueille pas sur un coup de tête. C’est un acte qui demande réflexion et préparation. Et ces deux aspects, réflexion et préparation, sont le cœur de l’éducation en renforcement positif. J’ajouterai même : adaptation et cela nous amène à notre point suivant :
Revenons maintenant à la deuxième proposition :
‘Il faut pousser à la faute pour qu’il apprenne’.
Finalement, nous ne sommes pas loin de la première suggestion. On pousse donc un animal qui ne connaît ni notre culture, ni nos coutumes, ni le bien, ni le mal, ni rien en fait de notre répertoire culturel humain (que nous avons passé 18 ans si ce n’est plus à apprendre par cœur…), à faire quelque chose que nous ne voulons pas, pour ensuite le réprimander ou lui indiquer son erreur ?
Prenons donc l’exemple :
J’apprends à mon conjoint à faire le caramel. Je lui indique qu’il doit mettre une certaine quantité d’eau et de sucre dans une casserole, les faire cuire en veillant à ce que le mélange reste toujours blanc-translucide.
Mon conjoint, appliqué, effectue ma demande.
Pour les lecteurs cuisiniers, vous voyez déjà l’erreur se profiler à l’horizon.
Une fois terminé, mon conjoint applique le caramel dans le fond du plat, le caramel ne prend pas et je lui réponds : « il est pas bien fait ton caramel, tu aurais dû le faire brunir pendant la cuisson ».
Le premier mot qui me vient à l’esprit dans cette situation est : injustice.
On enseigne quelque chose et ensuite on indique que c’est mal fait.
Quel est l’intérêt ?
Et bien pousser le chien à faire une erreur revient au même. On donne des indications spécifiques au chien, celui-ci les applique, et finalement, le résultat est sanctionné.
Et le problème, c’est que ça ne s’arrête pas là.
Pensez-vous que mon conjoint me redemandera une leçon de cuisine ?
Non.
Il fera l’expérience lui-même et définira ses paramètres lui-même.
Et pire, il perdra confiance en ma capacité à communiquer et interagir de manière bienveillante et constructive avec lui.
Il apprendra qu’interagir avec moi n’est pas quelque chose d’agréable ni constructif et que cela n’est pas bénéfique dans son quotidien.
Et finalement, la qualité de communication s’altère car le contrat de confiance est rompu.
Reprenons nos poilus.
Si l’on pousse un chien à faire quelque chose puis qu’on lui indique qu’il aurait dû faire le contraire, est-ce constructif ? Ou pire, qu’on le force à faire le contraire ?
Avez-vous été un bon professeur ?
Pour être un bon professeur, j’aurais dû agir ainsi :
J’apprends à mon conjoint à faire le caramel. Je lui indique qu’il doit mettre de l’eau et du sucre dans une casserole et qu’il fasse cuire, jusqu’à ce que le mélange prenne une couleur brune.
-Si le caramel est un succès, je le félicite (je mange le dit caramel).
-Si le caramel n’est pas parfait, je le félicite tout de même d’avoir essayé (et on le mange quand même).
-Si le caramel est horrible, je reprends mes indications depuis le début et l’aide jusqu’à ce qu’il réussisse son caramel (et tant pis pour l’écologie, on jette et on recommence, c’est définitivement immangeable).
-Si mon conjoint ne réussit vraiment pas le caramel, c’est peut – être qu’il n’aime pas cela ou qu’il préférerait faire du caramel au beurre salé, qui serait une motivation plus importante pour apprendre. Je lui apprends alors à faire du caramel au beurre salé (adaptation).
[Note : mon conjoint fait très bien le caramel]
Nous sommes les professeurs spécialisés en intégration dans la vie humaine pour nos poilus, nous ne devons jamais oublier cela.
Travailler en renforcement positif demande du temps (préparation), de la réflexion, car il faut constamment réévaluer notre protocole de travail si le caramel est mal fait (adaptation).
Nous devons ainsi réfléchir à la cohérence de nos réponses (installations des règles).
Nous devons aussi réfléchir à la qualité de réception de notre communication chez notre poilu (agréable ou désagréable). Nous devons respecter le contrat mis en place. Car nous sommes aussi le manager d’entreprise, et si notre employé n’est pas heureux, il sera en congés maladie chronique ou démissionnera…
Faire de l’éducation positive, c’est faire de l’interaction réfléchie, et ce n’est pas de tout repos. C’est remettre en question, c’est se poser des questions et c’est évoluer avec le système (évolution).
Pour résumé, travailler en éducation en renforcement positif, c’est pratiquer la réflexion, la préparation, l’adaptation et l’évolution de notre contrat avec notre poilu au fil du temps, de son évolution et de la nôtre.